Les producteurs de la célèbre Napa Valley californienne ont un peu perdu de leur arrogance. Eux qui affichaient, il y a quelques années, une prospérité insolente et se targuaient de pouvoir vendre des cabernets à 100 dollars la bouteille, semblent désormais inquiets. Selon une enquête de l'université californienne Davis, le marché du vin aux Etats-Unis “n'a pas été aussi difficile depuis des années”. Fini le temps des prix faramineux : on assiste depuis quelque temps déjà à l'irrésistible succès du vin à prix cassé, par exemple avec la gamme Charles Shaw, vendue à 1,99 dollars et surnommée par les Américains “two-buck-chuck” (“buck” dollar en argot, “chuck” diminutif de Charles). Un engouement qui s'explique aisément par le ralentissement économique. Ce phénomène du vin à prix discount trouve aussi ses racines dans l'importante surproduction qui atteint le vignoble américain : en 2005, selon une étude de la banque Morgan Stanley, les producteurs américains pourraient devoir faire face à des réserves correspondant à deux ans de stocks ! Dans les années 90, les producteurs ont en effet planté beaucoup de nouvelles surfaces. D'après l'Office international de la vigne et du vin, la superficie viticole des Etats-Unis a progressé de près de 37,2 % entre 1990 et 2000, passant de 301 000 hectares à 413 000. En Californie, d'où est issue plus de 80 % de la production américaine, les surfaces ont bondi de 72 % entre 1992 et 2001. Ces nouveaux vignobles, une fois arrivés en production, ont fait enfler les volumes sur le marché. Résultat : afin d'écouler ces surplus et face à la baisse des cours, les producteurs ont lancé des vins à bas prix. La concurrence des vins à bas prix Ces vins peu chers ont aussi eu l'avantage de doper la consommation de vin chez les Américains. Selon le Adams Wine Handbook 2003, plus de 246 millions de caisses de vin de neuf litres ont été consommées par les Américains en 2002, le plus haut niveau depuis 16 ans. La demande a augmenté de 5 % l'an dernier, en particulier pour les vins tranquilles. Les Américains, qui ne buvaient que 4 litres de vin par an et par habitant au début des années 80, devraient en consommer plus d'une dizaine de litres en 2006. Si la consommation de vin avait baissé après le 11 septembre 2001, elle est ensuite repartie de plus belle. Mais un problème commence sérieusement à inquiéter la filière vin américaine : les vins à bas prix portent préjudice à l'image du vin et ont développé la demande pour ces produits difficiles à rentabiliser. Les wineries américaines ont vu fondre leurs marges : après un net repli de ses bénéfices l'an dernier par rapport à 2001, Robert Mondavi, un des poids lourds du secteur, prévoyait au printemps dernier une baisse de 40 % de son bénéfice net. Les producteurs californiens doivent aussi affronter une autre réalité : celle de la concurrence des vins étrangers. Les importations ont enregistré une hausse de 17 % en 2002 et pèsent désormais environ 20 % de la consommation de vin aux Etats-Unis. Grande gagnante de cette percée étrangère : l‘Australie, dont les exportations sur le sol américain ont grimpé cette année de 51 % en valeur par rapport à 2002, et qui a ravi à la France le rang de deuxième nation viticole étrangère. Des exportations en hausse en 2003 Les producteurs de vin américains ne sont cependant pas au fond du gouffre. Face à la surproduction, ils ont arraché des plants et réduit leurs rendements. Et ils se sont surtout montrés plus offensifs à l'export, poussés par la nécessité d'écouler leurs stocks et aidés par la baisse du dollar face à l'euro depuis fin 2002. Selon le Wine Institute, au premier trimestre 2003, les exportations américaines ont augmenté de 35 % en valeur et de 42 % en volume par rapport à la même période de 2002. En France la percée des vins américains reste modeste mais s'accroît rapidement. En 2002, plus de 17 millions d'hectolitres de vin californien ont été vendus aux Etats-Unis et dans le monde, un volume record, en hausse de 3 % sur 2001. Les ventes des vins haut de gamme (plus de 15 euros la bouteille) enregistreraient même selon certains observateurs une nette progression. Bref, la situation est loin d'être désespérée pour les producteurs des vallées californiennes, surtout si les consommateurs se lassent du “two-buck-chuck”... |